Le premier animal qui l’apprivoisa fut un moineau.
Leur rencontre eut lieu, dans une cuisine, dans la maison des grandes vacances, en Bretagne…
C’est l’heure du goûter , grignotant une gigantesque tranche de pain recouverte de beurre salé, , attablée au long plateau de chêne recouvert de toile cirée, la petite fille aux nattes blondes est à genoux sur le banc de bois, fesses posées sur les mollets, car à six ans on s’autorise cette position, et puis elle est seule, après avoir refusé comme d’habitude la promenade familiale sous la pluie, par esprit de contradiction et déjà son goût pour la solitude ; Mais là elle s’ennuie ferme, alors elle rêve en émiettant son pain, et en chantonnant elle appelle « Petit petit oiseau, viens me consoler, je sais que tu es un prince de contes, et tu vas te mémorfoser, car j’ai du bon tabac, alors, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Viens oiseau oiselet oiseau si beau, tu te changeras en chapeau… »
Sur le seuil de la porte restée ouverte, comme une brise, un moineau se tient, et la regarde. La fillette continue à chantonner, » oiseau oiseau mino,oiseau » ; l’oiseau sautille, vers le milieu de la pièce, et d’un petit coup d’aile saute sur le banc, puis sans frayeur sur la table, et s’approche de sa main.
D’un doigt léger elle commence à le caresser doucement, lustrant ses plumes duveteuses, tandis que l’oiseau picore quelques miettes de la tartine. Puis il s’enhardit, et vient chercher pitance sur ses lèvres ; elle rit, pose sa joue sur la nappe, et tout en blottissant le petit corps contre son cou, elle continue sa chanson telle une litanie que le moineau écoute. Ils restent ainsi à se raconter leur nouvelle amitié, presque une heure, ou des années, le temps n’existe plus quand il protège des moments uniques …
…brutalement effacés par le retour des parents, dont les grandes silhouettes se profilent à l’entrée !
L’oiseau, épouvanté par cette intrusion qui lui ravit son secret, tente de s’échapper, se heurte aux carreaux des fenêtres, se blesse et finit par s’échapper. La petite fille n’a pas pu s’envoler.
L’année suivante elle parlemente longuement avec la souris qui se cache derrière la gazinière de sa grand-mère, avec force rires et cricris, lui demandant de sortir pour qu’elle puisse la nourrir, et lui enjoignant de vite se cacher lorsque Mémé arrive avec son balai. Ce que dame souris fait volontiers, et elle réapparait dès que la fillette l’appelle, pour recommencer leurs longues discussions. Ce petit jeu dure 3 mois, jusqu’au prochain départ en grandes vacances.
Ne voulant abandonner sa souris, Miss nattes d’or ,dont les cheveux ont encore poussés ,prépare un panier à salade, les paniers en fer des grand-mères que l’on secoue à la main, avec un nid en coton et tissu et de la nourriture pour le long voyage en voiture : à l’époque, pas d’autoroutes, tout voyage est expédition avec force provisions de bouche et de survie !
Mais la souris ne répond pas à son appel, ce matin-là.
Très triste, la petite fille doit partir, elle emporte quand même son panier vide… au cas où… si son oiseau revenait….
A son retour, on découvrit sourisette confite dans une bouteille d’huile d’où elle n’avait pu ressortir. La petite bête avait-elle préféré le suicide à l’expatriation ou la vie en panier à salade ?
Partout ou l’enfant passait, des arbres s’élevaient, car à chaque enterrement de ses amis qui l’apprivoisaient, elle plantait sur leur tombe une petite plante, comme autant de jalons pour lui apprendre à se domestiquer.
Depuis la petite fille a grandi, mais son chemin est toujours semé d’arbres qui s’élèvent très haut, parfois ils sont si touffus qu’elle a du mal à avancer, mais elle continue à se laisser apprivoiser par tous les compagnons à pattes de sa vie, même les drôles d’oiseaux.
Eve de Laudec
17 août 2010