Nzue
Touffeur humide, torride, bâillonnée, prostrée, la gomme liquide de l’instant efface jusqu’aux murmures, avec un pan de pagne les femmes épongent entre leurs seins, les hommes se mouchent dans leurs doigts, les lèvres ouvertes, suspendues au silence, suffoquent, les corps exsudent, les nerfs à fleur, la peau à vif
Le soleil piquant se voile, couvrant d’une ombre pesante cette terre tropicale
Saturé de poussières de latérite ocrée qui violent chaque alvéole, l’air s’effondre, ouateux, comateux, en déséquilibre le temps attend, l’attente n’a plus le temps
Quand
Le ciel se fend, les nuages déchirent en lambeaux leurs visages, aux
trombes d’eau convulsives répondent les écumeurs de misère, la pluie charrie bouteilles en plastique, poissons séchés et tong perdue vers les fossés qu’elle creuse, elle écrase chaque recoin de l’âme, déboule, torrent déversoir, dans les cases, fracas du déluge sur les tôles ondulées des toits, cavalcade effrénée des buffles célestes, danse hystérique des éléments, musique sacrée dans les calebasses résonnant aux mille mots de la brousse, saucée crépitant sur les enfants au grand rire blanc, ces petits bronzes gesticulent en criant contre leur peur, paumes ouvertes, corps nus offerts à l’ondée brutale et généreuse
Soudain l’orage se fige, point d’apostrophe, livre refermé, porte claquée
Montent de l’argile gorgée des effluves sauvages, sensuelles, enivrantes de souvenirs, doucereuses de promesse en champ d’igname, acides comme la sueur d’Aminata
Elle fume, cette boue pimentée, exhale des langueurs étranges, miasmes épais du frangipanier, écœurante de riche moisissure, âcre vapeur jaillissant d’un sol nourricier où les piquets des barrières prennent déjà racine, elle fume et respire au rythme des pas qui la gravent
Les violents sanglots de cette expulsion fœtale n’ont pas rafraîchi
Frissonnante, échevelée, rompue, la peau imprégnée de batik suintant
Elle sourit, ébahie, au jour qui se relève.
Texte paru dans l’Anthologie florilège 2014 des Dossiers d’Aquitaine. ISBN 978-2-84622-246-4