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Un grand moment d’encore plus grande solitude


Dans la galerie marchande d’un grand centre commercial, en retrait de la maison de la presse, une table recouverte d’une nappe (sans doute pour cacher une planche et des tréteaux) et une chaise. L’éditeur (enfin, le sous-fifre de la maison) attend son écrivain pour une signature et la présentation-vente de son dernier (son premier aussi) roman. Il sort les livres d’un carton et les dispose sur la table, tout en disant à son auteur « Allez, je vous laisse, vous avez de la chance, le samedi après-midi il y a du monde, on vous a choisi un bon créneau. Vendez-vous! Je reviendrai (faire les comptes) dans 3h !

Seul. Personne ne le regarde. Il est transparent. Il reste assis. Il attend. Et il cogite :
Je compte jusqu’à 3… et je relève la tête, il y aura quelqu’un devant les livres… bon, non jusqu’à 20… Allez, cette fois je compte jusqu’à 100…
Là, ça fait 100mn, et personne…
Il tortille entre ses doigts un pan de la nappe. Il croise ses jambes, heurte le tréteau, les décroise. Les piles de bouquins ne diminuent pas.
Il a beau les changer de coté, allez, deux en moins à gauche, dix de plus à droite, rien n’y change ; et s’il les éparpillait ? Genre négligé ? Oui, voyez-vous, mine de rien, un jeté de livres, qui traînent sur cette table, par hasard, et, tout autant par hasard les acheteurs passent à coté, et se disent « Ohhh ! Des livres !!! Moi qui JUSTEMENT en cherchais! Et avec l’auteur en plus !! Quelle chance ! »

Bon, ça ne marche pas, alors il les rempile, trois tas, bien alignés, trois belles piles.
Il peut se cacher derrière.
« Coucou, cherchez-moi !
Un, deux trois… soleil ? Je t’ai vu toi !! Tu as failli venir ! Et quand je t’ai regardé tu as vite détourné les yeux !
Hé quoi ? Je suis contagieux ? Je vous fais peur ? »
Depuis un moment, il sent un sacré courant d’air ! Forcément, la galerie de tous les dangers !et ils l’ont posé en plein milieu ! Lui qui aime bien rassurer son arrière et avoir toujours le dos au mur.
Il va en plus se choper une crève ! Hé oui, Madame, moi je suis fragile des bronches !
Et si on volait ses bouquins ? « Braquage osé en pleine galerie marchande ! Samedi Des illettrés cagoulés ont pratiqué un vol à l’étalage: Butin 30 livres … »
Super, au moins ils disparaîtraient… Il existe peut-être une assurance qui couvre ça ?

Time is money. Dans son cas, time is time!
Que faire pour vendre ?
Ne pas paraître hautain, Ne pas se gratter le nez. Ne pas sembler trop familier.
Les regarder ? Ou faire comme s’ils n’existaient pas ? Les voir sans les regarder ? Ou le contraire ? Ouvrir un ouvrage ? Lire ? Mais il n’aime pas se relire assis sur une chaise
Leur sourire ? Ca fait racolage !
Mais c’est bien du racolage.

Personne ne reconnaît donc Jean d’Ortolan? Pourtant, dans son quartier, on le connaît, son boucher, la gardienne de l’immeuble, « hé, Monsieur, Jean, ça écrit aujourd’hui ? »
Il aurait dû mettre une vraie pancarte, plutôt que ces cartes de visite ! Ecrit en gros
« Produit frais, AOC, origine française, élevé en plein art, à déguster 120 pages »


Il aurait aussi bien pu se mettre en tête de gondole
Dans le supermarché
Regardez la super affaire !! La super promo !
Achetez achetez ! Un pour le prix d’un (ben quoi, il ne va pas se brader quand même, lui qui débute dans le métier depuis vingt-cinq ans !) et vous mettrez mon œuvre dans votre caddie, entre le poireau et les rouleaux de PQ »…
Non ? Sauf l’art tichaut, le roman ne fait plus recette !

Que dire de la convivialité ?, une chaise pour lui, et les acheteurs, eux, doivent rester debout ? C’est très pratique et porteur (sans chaise) ! Mais il n’est pas là pour discuter, juste signer et vendre !
Du coup il se sent tout petit, rabougri, il en perd ses moyens de grand.
Et sa chaise grince chaque fois qu’il bouge un peu. Les gens lui jettent de brefs coups d’œil agacés en passant vite. Non mais, regardez-moi ce nunuche, et qui essaie de se faire remarquer avec ses bruits suspects !
NON, il ne vous appelle pas, il a juste une sacrée envie de pisser! Mais comment faire au milieu du magasin ? Où se trouve donc la porte de la libération ? Et il ne peut laisser ses livres sans surveillance.


I belong to you
And you belong to me

I belong to youuuuuuuu….
Il chantonne, en écoutant Seal dire son amour par les hauts parleurs du centre commercial, mais un autre son se répand, qui le gêne, comme un bruit de fond, comme un ronronnement dysharmonique. Il tend l’oreille et s’aperçoit en rougissant que son ventre gargouille à qui mieux mieux le chant de la choucroute fermentée!
I belong to you you belong to me… but not cabbage…

Et le temps passe. Et les badauds aussi. Et les pressés. Personne ne s’arrête. Il en vient à souhaiter le retour de son éditeur pour que prenne fin son calvaire. Après tout, il est écrivain, pas vendeur, ni forain ! Il ne va pas haranguer ces braves gens qui font leurs courses et n’ont que faire d’un livre ! D’ailleurs ils ne savent même pas lire, ces cons ! Oui, des cons, cons, cons, allez, il scande con, con, con, à mi-voix, et surtout prendre un air inspiré, digne d’un auteur ; le regard mystérieux, perdu vers de hautes et vagues sphères, yeux mi-clos…
Montrer au commun des mortels son intelligence ….
Ce qui finit par lui donner un air coincé et con !


Et soudain une femme semble se diriger vers lui !!
Ah là, je la sens, je la sens bien !! Ma première cliente, lectrice, fan !
Et mignonne en plus ! Enfin ! Il fallait juste qu’il y ait une première !
Vite, il essuie ses mains moites sous la nappe et arbore son beau sourire diamant.


Elle s’approche de la table, se pense vers lui, et lui glisse discrètement :

« S’il vous plait, Monsieur, puis-je vous demander quelque chose ?

« Bien évidemment Madame, je suis là pour ça »

« Heu…Pourriez-vous m’indiquer les toilettes ? »





Eve de Laudec
7 novembre 2010

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