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Le petit bois


J’ai pas voulu.
Non, c’est pas de ma faute...

Mais si, tu as voulu. Tu as tout voulu.
Tu étais si amoureuse…

Il s’appelle Banane, oui, c’est son nom, il en a la coiffure.
C’est les années soixante des blousons noirs,
Quelques chaînes argentées qui cliquètent au rythme des petites 50cv à fumée noire, la gomina, la frime déjà.

Banane, don juan de 15 ans doit sa place de chef de bande au fait qu’il est le seul français
au milieu d’algériens, fils d’émigrés de la première heure.
Elle, petite fille à socquettes, juchée sur sa bicyclette, admire de toutes ses onze années-et- demi, ce cavalier de fer et rêve de choses inavouables, un baiser…. Mais la verra-t-il, dans sa jupe plissée écossaise, lui qui regarde les filles aux lèvres peintes, alors qu’elle multiplie, en danseuse rougissante, les tours et retours devant la bande, sans même oser le regarder , sans même qu’il ne la regarde ?

Un petit papier plié en huit, tout dur d’avoir été serré dans une main moite, jeté à coté d’elle en passant, qui dit :
« rendé-vou dans le petit boit rue des charme, à 2h, signé banane «
Un rendez-vous!
Son cœur remonte dans sa gorge, ses oreilles chauffent. Elle fait connaissance avec les premiers émois, l’attente. En cachette. Surtout ne rien dire, à personne. Que sa mère ne se doute de rien, elle n’a le droit de sortir du jardin qu’avec sa sœur, et de se promener en vélos groupés, dans la campagne très proche, tout près de la maison de vacances de la grand-mère. Elle s’arrange avec sa sœur, grande sœur qui n’oserait pas, elle, mais sa cadette n’en fait qu’à sa tête….

…Elle entre dans le petit bois, sa bicyclette à la main. Il est là, adossé à un arbre, il semble gêné, un peu…elle s’approche, émue, jambes coupées, il ne bouge pas, il ne la regarde pas vraiment, il tend la main, le bras, il l’attire à lui, elle sent ce parfum de garçon qu’elle ne connaît pas, elle ferme les yeux, il pose sa bouche sur la sienne, elle manque tomber, elle manque tomber, mais elle tombe, oui, elle se sent tirée en arrière, poussée en avant,

Elle tombe, sans comprendre, il n’est plus là, proche, il est remplacé par des bras vigoureux et nerveux qui l’empêchent de se relever, il n’est plus là, les bras se multiplient, ils pèsent sur elle, plaquée au sol, dans les brindilles du petit bois, ça sent le moisi, le champignon, ça sent la sueur aigre de la peur, la sienne, la leurs, les corps mal lavés, les haleines aigres les bras se multiplient, des bouches avides forcent la sienne, lui mordent les lèvres, les dents s’entrechoquent, des mains la palpent, s’incrustent, se pressent, c’est lourd, trop lourd, elle respire mal, elle a mal, elle ne dit rien, peut-être juste un filet de gémissement, peut-être sa tête dit non, ils sont deux, trois, six, sept, les bras sont démultipliés , les jambes musclées s’immiscent, pourquoi n’a-t-elle plus de culotte ? Ils rient. Ce n’est pas possible, ils l’ont arrachée, culotte, maman, coupable, pourquoi ?


Cette odeur de peur, cette chose qu’ils mettent dans sa bouche, ils rient, ils fanfaronnent, oh cette odeur, elle a la bouche toute mouillée, pleine d’un goût à vomir, c’est dur et ça enfonce ses amygdales, ne pas ouvrir les yeux, surtout ne pas ouvrir, ça finira par disparaître, ça n’existe pas, ce doit être juste un mauvais rêve… et ça recommence, le poids sur son corps écrasé, la giclure sur son visage, les mains la fouillent, les mains ? Elle a mal, elle ne comprend pas, elle ne comprend rien, elle a mal, que lui arrive-t-il ? Que va dire maman ? Maman…Pourquoi Banane ne vole-t-il pas à son secours ? Les chevaliers font ça, d’habitude, dans ses livres de petite fille ! Banane !!
Elle ouvre soudain les yeux, et derrière tous ces corps mal soignés derrière ces visages ricanants et obscènes, elle le voit, adossé à un arbre, il sourit d’un air narquois, lui ne l’a pas touché, il a juste regardé, il l’a livrée…. Il l’a abandonnée….

Plus de corps sur elle, ne subsistent QUE le poids de la honte, QUE l’odeur de son corps sale, si sale, QUE cette salissure éternelle qu’il faudra cacher, QUE l’abandon, empreinte indélébile sur sa vie à venir.

Sa sœur est penchée sur elle, lui dit relève-toi petite sœur, attends je vais t’aider, rhabille-toi, il ne faut rien dire, surtout, à maman, on va se faire attraper, moi parce que je ne suis pas restée avec toi, toi parce que…parce que quoi ? Parce que !
Faut rien dire surtout, ne rien dire, quelque chose de mal s’est passé, quelque chose de sale…

C’est de Ta faute,
Ta faute
Ta faute…..



…Ta faute d’être amoureuse…. Ça se paye





Eve de Laudec 2010

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