Coeur à corps

Personne pour la serrer, la rassurer, lui dire t’en fais pas, je suis là,…
Non le vide, solitude qui se rit d’elle, rit d’elle, ridelle, risible, à qui le dire ?

Qui passera sa main sur ses poumons d’un geste tendre, qu’elle puisse enfin respirer, qui desserrera ses mâchoires soudées qui lui intiment l’ordre de ne pas hurler de chagrin, qui lui donnera cette douceur de coton-soie qu’elle puisse s’enfouir enfin, en entier, se poser, se reposer, enfin ?
Vers qui tendre ses bras qui sont si lourds ? Personne ne voit rien, n’entend rien. Qui lui enverra un mail autre que la pub pour une poubelle automatique moins chère, elle est déjà une poubelle gratuite, ou la super réduction pour les chaussures en vogue, alors qu’elle ne sait plus marcher, oui, qui ?

Elle s’accroche à des raisons qui n’en sont pas , aux détails des autres pour tenter de survivre, mais elle est un poids pour chacun, elle est beaucoup trop lourde, celle en trop, la femme du trop de rêves qui ne supporte plus le pas assez, ou plus simplement celle dont personne n’a réellement besoin.

Une incapable, voilà ce qu’elle est, pauvre chose sans autre avenir que souffrir indéfiniment. Juste pour rien. Une incapable de la vie. Elle qui fait semblant de vivre depuis tant de mois, cinquante-deux exactement, c’est long ou très court, tout dépend de quel coté l’on se place, du coté de celle qui compte encore, ou du coté du compte est bon…Elle n’a pas su s’envoler.

Alors elle s’arrache les cheveux à pleines poignées, ça lui ferait presque du bien de détourner son âme pleureuse vers une douleur physique aigüe.

Elle lacère sa chair comme autant de plaies du temps ; coulent en ruisseaux doux ces artères sinueuses sans voie ni toi, ni lui, ni eux, ruissellent maintenant et retournent à la mère, en gros bouillons aux yeux éteints, se déversent en déraison pour raconter l’insaisissable…

Puis elle plonge ses ongles au milieu de sa poitrine, mains plaquées au buste, griffe ses côtes pour une bonne prise et les écarte brusquement, dans un déchirement de tissus, laissant jaillir au milieu des alvéoles rosâtres, un cœur palpitant encore.
Elle le sort de son berceau de chair, comme un calice, entre ses doigts trempés et l’élève à ses lèvres closes. Enfin, ses dents lâchent l’étau, et, clamant « je t’aime », dans son sourire écarquillé elle engouffre ce cœur si gros dont personne n’a voulu.

Eve de Laudec
17 octobre 2011

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1 commentaires sur “Coeur à corps

  1. admin says:

    04.09.2012 22:02 Eve de Laudec
    @LG2, merci infiniment de votre passage, une lenteur certes, je goûtais la progression dans cette auto-mutilation :-)Savoir dévorer en prenant son temps, c’est souvent pire!

    02.09.2012 23:12 LG2
    je viens de lire suite au lien que vous m’avez fourni… je ne sais , il y a la violence, mais pour moi aussi une sorte de lenteur calculée très assassine dans la mélopée des mots

    28.05.2012 22:34 Evedelaudec
    @ Tapanur: la solitude nous fait unique, surement, mais plein de l’inaptitude à recevoir l’humanité quand elle s’allie au désespoir. C’est ce que j’ai tenté de faire passer dans ce texte. mais tu as raison, la solitude renforce…parfois…

    28.05.2012 22:06 Tapanur
    Oui, c’est douloureux, nu et plus humain que l’humain lui-même, car en vérité la solitude est un bienfait que seuls les esprits supérieurs sont à même de supporter, à renfort de mondes intérieurs, de démons maîtrisés et de discipline sévère. Se croire moins car seul est une profonde erreur ; combien souhaiteraient échapper à l’emprise d’un époux, d’une famille, d’une obligation, d’un rendez-vous ? La solitude nous fait uniques et pleins , pleins de nous-mêmes et pleins de l’humanité.

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