Charivari

C’est dans les vieux pots que l’on fait de la bonne soupe !

Ah ça, pour la soupe, Mado était bien à son affaire, elle l’avait touillé, son vieux bougre de comte !

Les coutumes et us tensiles jouaient à cette occasion le grand chambardement, en l’absence de Mado qui, trop occupée à dire oui à son Léopold avait pour la première fois de sa jeune vie laissé les rênes de son domaine aux petites servantes. Ce n’est pas tous les jours que la cuisinière marie le maître! Aussi les petites mains s’affairaient à débarrasser tous les placards, tous les vaisseliers, toutes les étagères de l’office pour célébrer à leur manière les épousailles, toute la batterie de cuisine du château y passerait!

Ah ! Elle allait les avoir, ses noces ! Elle avait si bien manœuvré, la garce, avec force petits plats dans les grands, sauces onctueuses agrémentées de paroles suaves, rôties du matin servies au lit bien croquantes, et ses faisandés humants, et ses débordantes forêts noires et frisées que Léopold recouvrait abondamment de flots chantillynesques, qu’elle l’avait retourné, le vieux maître libidineux, bien grillé des deux cotés à la broche de ses cuisseaux, même ses œufs au plat qui s’étalaient sous son corsage avaient semblé à Léopold du meilleur goût, lui qui depuis son veuvage dépérissait par manque d’appétit.

Mais au village comme au château, ça jasait, et d’un commun accord chacun préparait le plus grand tohu-bohu que la contrée n’ait jamais connu pour protester contre les accordailles d’une jouvencelle sans dot et sans vergogne et d’un barbon certes titré et sonnant trébuchant mais qui dérogeait au souvenir de sa défunte comtesse en bravant la bien-pensance régionale.

Ils voulaient un mariage qui fasse du bruit ? Ils l’auraient, assurément !

Des plus lointaines fermes perdues dans les champs, de toutes les chaumières du village sortirent chaudrons étamés, lessiveuses, écumoires ou louches démesurées pour alimenter le tintamarre, quitte une marmite ou une sauteuse à bogues, quitte une crêpière ou une bassine à confiture, et les cuillères en bois pour baguetter à volonté ferraille, cuivre, étain, émail, tout ce qui pouvait distordre la joie ambiante fut entassé sur les carrioles, les chars, mis en bandoulière autour des cous épais, porté à bras-le-corps comme une poissonnière pleine d’os de lapin pour mieux sonoriser l’orchestre improvisé.

Chacun avait les mains souillées et le visage barbouillé de la suie de l’âtre dont les culs des engins culinaires étaient recouverts, les costumes de fête maculés d’essuyages du désordre ambiant, mais les visages revanchards de la population s’en gaussaient tant à leur plaisir de cette vilaine farce ! Et en avant la musique !

Que de casseroles bringuebalantes émaillées furent secouées lors des noces de Mado et Léopold, que de poêles noircies furent accrochées à la queue de pie des témoins, que de faitouts ventrus claironnèrent leurs sifflets aux marches de l’église, que de couvercles en fer d’élance cymballèrent en rythmant les dongs des cloches, toutes les batteries de cuisine du département sans dessus-dessous jouèrent haut et fort leur charivari…

Seul, étendu sur la dalle chauffée à blanc par le soleil de juin, à l’entrée de la cuisine du château déserté, le chat qui jamais ne varie et en verra d’autres tant qu’il vivra en rit encore…

Eve de Laudec
16 avril 2012

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